Inhumaines : livre malsain à vocation salutaire !
- Grégory Vautrin publié sur JesuisMY
- 15 mars 2017
- 4 min de lecture

J’ai tendance à clamer que consommer est un acte politique. Lire aussi. Si d’aucuns l’avaient oublié, Philippe Claudel nous donne des raisons Inhumaines de s’en rappeler. Ce livre qui tutoie le malsain d’utilité publique et collective est arrivé près de chez vous ! Moins qu’une critique, voici mon avis sur cette œuvre surréaliste.
Inhumaines est à la littérature, ce que @Black Mirror est aux séries TV.
- BAM - #ouiçacalme
Sous la plume diaboliquement géniale et divinement cynique de Philippe Claudel, prennent vie des situations et des personnes Inhumaines. Demange, Legros, Brognard, Dubois, Durand, Lepoutre, Dumoulin. Autant de protagonistes dont les noms sonnent comme des avatars anonymes d’une banalité terrible, ne personnifiant personne et symbolisant tout le monde. A l’instar de Montesquieu et des Lettres Persanes où l’auteur critiquait la société via la correspondance fictive échangée entre Usbek et Rica, Philippe y exagère le vrai pour dénoncer l’atroce.
Des personnages aliénés et détraqués d’une extraordinaire lâcheté ordinaire lesquels par leurs agissements et leurs manières de penser engendrent des situations dangereuses, immondes et pourries. Ils gravitent dans un Huis Clos moderne, une entreprise déifiée et terrible. Abjecte entité sans âme à la croisée d’une COGIP version toxique, ou d’une World Company nettement moins drôle. Ces ignobles employés n’en restent pas moins des pantins tragico-comiques dans cette satire érotique et absurde où l'outrance est le reflet de nos errements.
@Bernard Werber avait planté un Arbre des possibles, Philippe Claudel rédige ses graines de catastrophes plausibles. Rire jaune ou rire noir Inhumaines pitche ainsi :
Roman des mœurs contemporaines
Nous sommes devenus des monstres.
On pourrait s’en affliger.
Mieux vaut en rire.
La bombe (in)humaine je la tiens dans ma main, sans vouloir la lâcher même si, il y a des chutes téléphonées. Et pourtant, il faudra bien, une fois la lecture achevée, reposer cet ovni littéraire qui ne décrit pas autre chose que ma lâcheté, la tienne, la notre. Notre responsabilité dans notre abandon. Notre implication dans notre soumission. Et les conséquences.
Inhumaines est un conte cruel et atroce où s’enchainent, sur un rythme effréné, 25 histoires monstrueuses. Tant de saynètes comme des punchlines du pire, dans un monde accoutumé à lire (uniquement ?) des tweets.
Le livre entier est construit avec intelligence. Tout est fait pour lire vite, pour passer d’une séquence à une autre, sans zapper ni reposer le livre. Il faut, à l’image des personnages, éviter l’ennui. Les dialogues sont présentés de manière peu académique. Comme les chapitres, questions et réponses se suivent sur la même ligne, d’une même temporalité, sans pause, atone, du tac au tac.
Chaque ligne regorge de pépites froides et glaçantes, à faire bondir de sa chaise votre lecteur de rédacteur, fiévreux d’effroi tant tout cela semble tristement concevable.
Cet accent de vérité qui teinte ces histoires émeut l’insoumis qui sommeille, le révolté assoupi. Etait-ce le but de l’auteur ? Je le pense. En abordant des thèmes d’actualités, éminemment contemporains et politiques , il tente d’éveiller les consciences sur l’absurdité de la voie descendante, cette pente accablante, inhumaine et abêtissante que le monde s’évertue à suivre. Là où un @Pierre Rabhi tend à défendre une sobriété heureuse, Philippe Claudel dépeint des inhumanités d’un trait suffisamment exagéré pour ne pas totalement nous effrayer, mais tellement envisageable que cela fait réfléchir. Ces deux façons de faire, sont, de facto, complémentaires pour nous éviter la chute.
Ainsi, Art contemporain est pire qu’un coup de poing en pleine face, qu’un tournevis enfoncé dans l’urètre ou qu’une écoute prolongée de Jul. La fête de Noël en famille renvoie l’icône joyeuse barbue et vêtue de rouge dans la pire scène d’Hostel.
Le grand chassé-croisé est simplement impitoyable, féroce, barbare mais vraisemblable.
Et, lire, Lien intergénérationnel, après les 67 pages de lecture et d’accoutumance, dès les premiers mots, tu sauras la suite. Tu imagines le pire. Tu anticipes. Et tu auras raison. Et c’est peut-être là, non pas une faiblesse, mais bien une force. Inhumaines est un manifeste d’anticipation.
L’atroce descente dans cet enfer terrestre peuplé d’humains indignes d’être nommés ainsi est crédible ! Jamais Jean Paul Sartre n’aura eu autant raison, qu’à travers l’épouvante que nous donne à lire Philippe Claudel. L’enfer c’est les autres, c’est moi, c’est toi, c’est nous. Mais si l’enfer peut s’anticiper à travers ses mots, alors le paradis aussi peut réellement survenir !
La réalité « augmentée » de Philippe Claudel sonne comme une triste vérité probable. Un futur alternatif dont personne ne veut, mais qui pourtant n’est pas si loin. Cet avenir nous tend les bras. A nous, les indignés du canapé, bien planqués derrière nos écrans, immergés dans notre confort de réagir. A nous, les endormis sous le politiquement correct, anesthésiés et destitués de pensée et d’intelligence de répondre.
Est-ce vrai ? En est-ce fini de l’altruisme ? Finie la main tendue ? Finie l’empathie ? Finie la générosité ? Vivons-nous déjà dans un monde sans rien de sacré. Est-ce la norme de considérer l’autre comme un meuble, comme une chose ? Est-ce le monde que nous souhaitons ?
Ce livre brille comme un Soleil Vert en 1984. Des Monades urbaines à un Meilleur des mondes. Voilà des références pour Inhumaines, pure dystopie pas si folle que ça. Les 25 nouvelles forment un récit cohérent qui décrit l'(in)humanité du XXI siècle.
Philippe met en exergue toutes les lâchetés à venir. Avec ses phrases courtes, brèves et incisives, le livre noir, « imaginant » le plus sombre des futurs, l’écrivain tente de faire ouvrir les yeux, d’éveiller les consciences. En racontant 25 histoires barbares, comme autant d’exercices cathartiques ou prophétiques, Philippe devient Cassandre. Annonçant le pire pour que le meilleur se produise.
Tous ces mots mis bout à mot, toutes ces phrases associées, tout le livre entier n’a pas pour but d’apporter une répondre à la question de l’inhumanité généralisée, globalisée et mondialisée ; mais plutôt de nous faire poser les bonnes questions. Avec Inhumaines, il me semble que Philippe Claudel ne prétend répondre à rien. Il a simplement l’humilité de retranscrire, via sa plume habile, un champ de recherche et de questionnement collectif et individuel. En nous distrayant, il nous ouvre sérieusement une porte. A nous d’en franchir le seuil.
Enfin, conclure pour cet électrochoc littéraire, par l’ouverture du livre. N’oublie pas, jamais même, que « L’homme est un risque à courir. » Kofi Annan.
http://www.editions-stock.fr/inhumaines-9782234073388
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