Quand recevoir chez soi devient un art
- Grégory Vautrin publié pour Mylorraine.fr
- 14 févr. 2017
- 4 min de lecture

Savez-vous ce qu’est le cannameliste français ? Non ? Pas d’inquiétudes amis lecteurs, je suis là pour ça, je vais vous éclairer. Il ne s’agit pas d’une pratique barbare anthropophage, ni d’un nouvel art martial à grand coup de canne à sucre et encore moins d’une compétition de lancer de cannelé puisque nous le savons tous, le cannelé est une spécialité bordelaise et vous êtes ici sur Mylorraine.
Joseph Gilliers appartient à la catégorie des célèbres inconnus ,que je vous présente maintenant depuis un moment tels Léo Valentin, Marthe Richard, Nicolas Joseph Cugnot Nicolas Cirier ou encore Louis Le Prince. L’on ignore presque tout de lui, jusqu’à sa date de naissance. Mais nombreux sont les pâtissiers, les amoureux des plaisirs de la table, et les décorateurs à lui rendre hommage. Pourquoi ?
Parce que monsieur Gilliers, est au 18ième siècle, l'auteur d’une sorte d’encyclopédie pour les arts de la table dans "Le Cannameliste Français". Oui monsieur, non madame, tout ne se passe pas à Paris durant le siècle des Lumières. C'est ici, en Lorraine, à Lunéville précisément qu'on a ordonné l'Art de recevoir et de manger à la Française. Excusez du peu.
Qu’on se le dise, Nadine de Rothschild n’a pas le monopole du savoir-vivre et Stéphane Bern celui du bon goût. Tout ce qu’ils savent, ils l’ont appris des livres et particulièrement celui d’un lorrain (cocorico ... puisque je ne connais pas le cri des alérions). Tout vient de là je vous dis : s’ils peuvent, les yeux bandés, détecter la fourchette à crustacé, gourmet ou encore à fromage ; s’ils savent correctement s'éponger les commissures de lèvres, avant de boire dans le bon verre d’eau (parmi les 4 disposés sur la table) ou encore s’ils savent marier les mets délicats ensemble pour en exalter tous les arômes, c’est certainement grâce à Joseph Gilliers, le chef d'office de Stanislas.
En Lorraine, pendant le siècle des Lumières, Stanislas Leszczynski sait s’entourer d’esprits fins et d’hommes de lettres. Les discussions et autres babillages alternent avec des représentations théâtrales ou musicales lors de banquets dans le cadre verdoyant des jardins et du château de Lunéville. (Vous l’entendez bien cette musiquette de fond ambiance : Bavière, Eisenach, perruques et Jean Sébastien Bach ?).
Bref, l’aristocratie est imprégnée par le luxe, la sophistication et la recherche constante d’une certaine originalité exotique que l’on retrouve par exemple dans l’art de la confiserie. Art dans lequel excelle un certain Joseph Gilliers, chef d’office, distillateur et confiseur au château de Lunéville.
Pour les moins de 200 ans qui lisent cet article et qui donc n’ont pas connu cette glorieuse époque, le terme de chef d’office signifie que Joseph vaquait hors de la cuisine. Son travail est à différencier des maîtres-queux et autres cuisiniers attachés à la maison. Il travaillait avec l’aide de quelques assistants dans une pièce à l’écart, oeuvrant à la décoration, à ce qui doit clore le repas en apportant la dernière touche de panache avec si possible la mission de le rendre inoubliable. Sympa comme job non ?
Donc, Gilliers est chef d’office quant en 1751, il décide de consigner par écrit l'ensemble du savoir nécessaire à l'exercice de sa profession. Il rédige donc le Cannaméliste Français, en répertoriant, décrivant, expliquant, racontant tout ce qui fait le sel de son métier.
On retrouve donc dans cet ouvrage ses techniques, le dressage et la décoration des tables, les différentes manières de travailler le sucre, confectionner les boissons chaudes, de réaliser les glaces, de préparer les fruits et les salades.
Le Cannaméliste Français contient treize planches gravées représentant des ustensiles de cuisines et des meubles, de la vaisselle, des techniques de décoration de table, différentes façons de dresser des tables élaborées. L’auteur explique dans sa préface qu’il réalise ce livre pour ceux qui désirent apprendre le métier de maître d’office.
Joseph décrit, par exemple, la recette d’une de ses trouvailles pour conserver une haleine fraiche : une sorte de pastille– tel le premier chewing-gum lorrain, faite avec de l’essence de bergamotes pour donner le goût, comme il dit. La Lorraine place to be car devant Hollywood !
Un bien bel outil de transmission que ce dictionnaire qui aurait sa place encore aujourd’hui sur le Livre sur la Place 2015. En effet, encyclopédie en main, elle vous permettrait de devenir aussi doué, que ce formidable maître d’hôtel, ami et conseiller de Julia Roberts dans Pretty Woman, dans l’art subtil délicat et exigeant du savoir recevoir à la Lorraine.
Enfin, à toi qui te prête au jeu des émissions de télé réalité où l’on doit inviter de parfaits inconnus à souper, sache qu’un lorrain a tout rédigé pour te permettre de remporter le gros lot dans Le Cannaméliste Français.
Enfin, si vous êtes fan des citations sur facebook voici la dédicace qui ouvre le Cannaméliste français, l’un des plus importants ouvrages de cuisine publié au XVIIIe siècle, rédigé par Joseph Gilliers, Chef d’office et Distillateur de Sa Majesté le Roi de Pologne, Duc de Lorraine et de Bar :
« La perfection à laquelle les Arts sont parvenus de nos jours, doit principalement son origine à la protection dont les Grands ont honoré ceux qui les cultivent ».
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